La restitution de la dette d’indépendance d’Haïti face aux discours complaisants de certains intellectuels haïtiens
La revendication de la restitution de la dette d’indépendance qu’Haïti a été contrainte de verser à la France se heurte aujourd’hui à un obstacle inattendu et profondément préoccupant : la prise de position de certains intellectuels haïtiens qui, au lieu de renforcer cette juste cause, adoptent des discours ambigus, voire ouvertement favorables à la position française.
Depuis plusieurs années, des démarches sérieuses ont été entreprises pour exiger de la France qu’elle restitue les sommes indûment perçues après l’indépendance d’Haïti. Grâce aux recherches approfondies d’historiens, de sociologues et d’intellectuels engagés, nous disposons aujourd’hui d’un ensemble de preuves irréfutables et d’arguments solides, démontrant avec clarté que la France a dépouillé un peuple libre et souverain au nom d’une dette injuste – une dette imposée en échange de sa propre liberté. Une aberration historique, sans précédent dans l’histoire universelle.
Des familles françaises, notamment des descendants d’anciens colons, ont directement profité de cet argent. La construction de la Tour Eiffel en constitue également un symbole vivant, dans la mesure où elle a été financée par des banques françaises qui elles-mêmes avaient prêté à Haïti les fonds nécessaires au paiement de cette dette. Tous ces éléments représentent aujourd’hui un socle juridique, moral et politique pour faire valoir, sur la scène internationale, le droit d’Haïti à réparation. Sur le plan diplomatique, cette revendication trouve désormais des appuis notables : le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, allié historique d’Haïti, s’est récemment exprimé lors du Sommet Caraïbes-Brésil pour soutenir activement cette cause. Ému aux larmes, il a dénoncé ce qu’il appelle une « double injustice ». Ce signal fort devrait encourager Haïti à intensifier ses efforts sur la scène internationale.
Néanmoins, un obstacle majeur subsiste : le discours de certains intellectuels haïtiens qui, loin de défendre l’intérêt national, alimentent des narratifs qui affaiblissent la légitimité de la revendication haïtienne. Parmi ces arguments récurrents, on entend notamment :
« La France n’a pas les moyens de rembourser. »
« Haïti n’est pas en capacité d’absorber une telle somme. »
« L’argent n’est pas une priorité, la sécurité l’est davantage. »
« Les gouvernements haïtiens sont trop corrompus pour gérer cet argent ; il subirait le même sort que les fonds PetroCaribe. »
Ces déclarations, souvent faites sur des plateformes médiatiques françaises ou dans des espaces diplomatiques à forte visibilité, offrent à la France des justifications commodes pour éluder toute responsabilité. Imagine-t-on le président Emmanuel Macron regardant un intellectuel haïtien affirmer à la télévision française : « Haïti n’est pas prête à recevoir ces fonds » ? Ce type de discours conforte précisément la stratégie d’inaction de l’État français. En effet, ces propos sont repris et utilisés comme arguments contre toute restitution.
Certains intellectuels vont jusqu’à déclarer : « L’urgence n’est pas la dette, mais la sécurité », ou encore : « La France fait face à ses propres défis, notamment la guerre en Ukraine. » Ces prises de position ne sont pas sans rappeler l’attitude de Régis Debray, ancien émissaire français, venu en Haïti dans les années 2000 pour exiger la démission du président Jean-Bertrand Aristide, dont les démarches en faveur de la restitution dérangeaient l’État français. À l’évidence, dès qu’une initiative haïtienne trouble l’ordre établi, certains esprits, même parmi les élites nationales, se montrent déstabilisés.
Pourtant, ces intellectuels auraient pu choisir une posture différente, en s’appuyant sur des précédents historiques où d’anciennes puissances coloniales ont reconnu et réparé les injustices du passé. Ainsi, l’Italie a versé cinq milliards de dollars à la Libye en compensation de la période coloniale. Ce précédent démontre que des réparations sont non seulement possibles, mais légitimes, à condition d’y mettre la volonté politique et la pression nécessaire.
Il devient donc impératif de dénoncer toute forme de défaitisme ou de complicité dans nos cercles. Il ne s’agit plus de se lamenter ni de semer le doute sur la capacité d’Haïti à gérer une telle somme. Ce dont le pays a besoin, c’est d’un plan national clair, d’une feuille de route inclusive, réunissant l’ensemble des composantes de la société : les organisations populaires, les partis politiques, la diaspora, le secteur privé. Ensemble, il faut répondre aux questions essentielles :
Par quels mécanismes les fonds seraient-ils restitués ?
Quelle entité en assurerait la gestion ?
Quels projets de développement ces fonds permettraient-ils de financer ?
Une proposition pertinente a déjà été formulée par Wendy Phele dans sa thèse, en suggérant la création d’un groupe de travail national (task force) chargé de la gestion des fonds, doté de mécanismes rigoureux de transparence, de contrôle indépendant et de participation citoyenne.
En conclusion :
Haïti n’a pas à implorer ni à quémander : elle réclame ce qui lui est dû. Ce n’est pas une faveur, mais une exigence de justice. Il est temps que les intellectuels haïtiens cessent de jouer le rôle de boucliers idéologiques au service des intérêts français. Leur responsabilité est de se ranger du côté du peuple et de défendre l’héritage historique de la nation haïtienne. En unissant nos forces autour d’une stratégie cohérente, en mobilisant nos partenaires internationaux et en structurant notre revendication avec rigueur, la France n’aura d’autre choix que de reconnaître sa dette et d’y répondre.
Methelus Mondy
Paris, France
Le 18 juin 2025
Journaliste militant / Citoyen Engagé